PAR QUENTIN PARISIS

Le joueur de Blainville, Hoshang Noor-Ali, a été convoqué en équipe nationale d’Afghanistan, à l’issue d’un parcours peu commun, tant d’un point de vue personnel que sportif. Une convocation qui pourrait aussi – enfin – lui ouvrir les portes du monde professionnel.

Doha, Jassim Bin Hamman Stadium, le 5 septembre 2019. Ce soir-là, le Qatar affronte l’Afghanistan dans le cadre des qualifications pour la Coupe du monde. Sur le banc afghan, pour la première fois, on y trouve un Québécois. Hoshang Noor-Ali, joueur de l’AS Blainville en Première Ligue de Soccer du Québec (PLSQ), honore sa première convocation avec l’équipe afghane. « J’ai vraiment vu ce qu’était le monde des pros, avec deux séances vidéo par jour, très poussées, un staff complet, la nutrition très calculée. J’ai compris à quel point il était important d’être prêt physiquement, mentalement, émotionnellement », raconte-t-il calmement.

 

Sur le terrain, le Qatar fait office d’ogre. Champion d’Asie en titre, le petit pays est immensément ambitieux en matière de soccer, avec en point de mire « sa » Coupe du monde en 2022, durant laquelle il veut se montrer à la hauteur. Question d’orgueil, mais aussi d’influence diplomatique, tant l’émirat a misé sur le sport pour se faire une place sur la carte. Le résultat est sans surprise et surtout sans appel : 6-0. Sur le banc, Hoshang observe, emmagasine, sans s’impatienter. « J’avais envie de rentrer, mais je n’étais pas frustré. J’allais là-bas pour apprendre, même si je me dis toujours que si je suis là, c’est que j’ai le niveau pour y être », explique Noor Ali.

 

Malgré son statut de remplaçant, le joueur de Blainville suscite de l’intérêt. Les fans, le service de sécurité, les journalistes… les nouveautés ne manquent pas et lui permettent d’appréhender un environnement bien éloigné de son quotidien sur les terrains de PLSQ. L’essentiel est cependant ailleurs. Il s’agit avant tout pour lui de se fondre dans le groupe, de s’y forger une place. Le Blainvillois n’aura pourtant pas plus la possibilité de s’exprimer lors de la seconde rencontre face au Bangladesh, remportée 1-0 par les Afghans. Malgré cela, l’expérience s’avère positive. Le joueur sait désormais qu’il a toute sa place au sein de la sélection. « Je suis très honnête envers moi et mon niveau. Si je vois qu’un autre est plus fort que moi, je vais rester de côté, car je respecte tous mes coéquipiers, mais je pense mériter ma place et ça me motive », explique-t-il.

Cette motivation d’aller plus haut, plus loin et plus rapidement est aujourd’hui essentielle pour la suite de sa carrière. Barré du monde pro jusqu’à maintenant, il partage désormais la sélection avec plusieurs joueurs professionnels qui évoluent dans les divisions inférieures anglaises, en Australie ou aux Pays-Bas, ce qui n’est pas sans le convaincre que, lui aussi, y a toute sa place. « L’idéal serait que je signe en CPL, en USL… bref, en pro ! J’ai joué avec des pros, j’ai vu leur mode de vie, leur façon de travailler, et j’étais à leur niveau. Je mérite aussi d’avoir un contrat », estime-t-il.

Outre ses entraînements collectifs et personnels, il s’astreint donc à des analyses vidéo pour se perfectionner et atteindre ses objectifs ambitieux. Hoshang aimerait poursuivre ses aventures en équipe nationale et participer à la Coupe d’Asie, une compétition qu’il pense être à la portée de l’Afghanistan. Une compétition qui serait également une véritable apothéose pour ce joueur au parcours atypique.

 

UN PARCOURS PEU COMMUN ET INSPIRANT

Ce n’est qu’à 4 ans que Hoshang pose le pied sur le sol canadien, en provenance du Tadjikistan, le pays voisin de l’Afghanistan. Ses parents y ont trouvé refuge alors que la mère de famille est enceinte et que la guerre a éclaté de l’autre côté de la frontière. « J’ai quelques souvenirs du Tadjikistan, très courts, mais je me souviens d’avoir joué au foot dans un parc », s’amuse le joueur de 25 ans.

 

Hoshang, ses quatre grands frères, sa grande soeur et ses parents s’installent à Chomedey. C’est là que les premiers émois du jeune homme pour le soccer s’expriment. Jusqu’à 11 ans, il pratiquera son sport principalement dans la rue, avant de poursuivre sa route dans un club, plus ou moins par hasard. « À ce moment-là j’ignorais tout des structures autour du soccer, des clubs, des Associations régionales (ARS), je venais du football de rue, où je jouais avec mes frères », explique-t-il. Ces institutions ne vont pourtant pas mettre longtemps à repérer le talent du jeune garçon. Hoshang est sélectionné par l’ARS Laval pour les Jeux du Québec. Il intègre ensuite le Centre Nationale de Haute Performance (CNHP) à 14 ans où il suit le cursus en sport-étude en étant « très bien encadré ». « Le foot a changé mon environnement, détaille-t-il. J’ai pu faire la connaissance de beaucoup de gens, et ça m’a sans doute sauvé de beaucoup de situations. Le foot m’a tellement aidé. »

C’est à cette époque qu’il effectue ses premiers essais en Europe. Entouré par Guy Zittel et Martin Desgroseillers, il part d’abord pour Auxerre, en France. Trois ans de suite, il traverse l’Atlantique afin de rejoindre cette petite ville, dont le club dispose d’une Académie extrêmement reconnue, d’où sortent quelques-uns des plus grands joueurs français, tels Éric Cantonna, Basile Boli, Philippe Méxès, Djibril Cissé, le champion du monde Bernard Diomède ou encore Bacary Sagna, bien connu à Montréal.

 

Il tente aussi sa chance à Metz à 17 ans, où il passe aussi un essai durant six semaines avec la réserve. Il côtoie notamment Sadio Mané, l’actuel joueur de Liverpool qui débute alors tout juste sa carrière, mais qui est déjà doté d’une « force physique incroyable » et d’une « grande compréhension du jeu », et Bouna Sarr, actuellement à l’Olympique de Marseille. « J’ai payé des souliers à Sadio Mané, dit-il dans un grand éclat de rire. On se promenait dans un centre commercial, et sa carte ne passait pas, alors je lui ai avancé. »

 

Malgré les essais et les bons moments passés, Hoshang reste à quai. À Auxerre, l’affaire tombe aux oubliettes en raison des règlements internationaux qui obligent les mineurs à disposer de famille dans le pays d’accueil, ce qui n’est pas son cas en France. À Metz, trop jeune, il n’était « pas vraiment prêt » et l’affaire ne se conclut pas non plus. « Je voyais bien que les gars là-bas étaient vraiment très forts, et je me suis rendu compte à quel point c’était important d’être dans un cadre dès son plus jeune âge pour être prêt physiquement, tactiquement, mentalement à affronter ce type de joueurs », explique-t-il.

 

Hoshang Noor-Ali, qui doit quitter le CNHP à la même époque prend alors la route de l’Impact de Montréal, avec lequel la mayonnaise ne prend pas. Vexé d’être intégré aux U18 plutôt qu’en réserve, le jeune homme qu’il est se braque et ne reste qu’une saison. Un « rendez-vous vraiment raté » avec l’Impact, « une mauvaise expérience » qui lui fait penser à arrêter le soccer, d’autant qu’un court passage en équipe nationale canadienne (dans les catégories de jeunes) ne lui permet pas de relever la tête. « Je jouais en 6, mais le coach voulait me faire jouer défenseur central. Je trouvais ça ‘plate’… Je ne voulais pas y aller si je jouais défenseur central…j’étais jeune… j’ai été bête… », confesse-t-il aujourd’hui.

 

BLAINVILLE EN SAUVEUR

Démotivé après son passage à l’Impact, perdu face au peu de débouchés offerts aux joueurs qui ne sont pas retenus par le club professionnel, Hoshang Noor Ali reçoit alors un appel de Blainville. La PLSQ commence ses activités et il n’est question avant tout pour lui que « de s’amuser », de « prendre du plaisir. » L’objectif est rapidement au rendez-vous, même si, au départ, le changement de monde est rude. Le club de Blainville n’est pas encore la grosse machine québécoise qu’elle est aujourd’hui. « On était parfois 5-6 à l’entraînement parfois, c’était un choc », raconte-t-il.  Tout juste mise en place en 2012, la PLSQ n’offre pas non plus toujours une opposition très féroce. Pourtant, porté par une ambiance au club qui s’avère tout de suite excellente, il s’accroche à ce nouveau défi. Il fait bien, la structuration du club suit rapidement.  Aujourd’hui, les choses ont changé. Les séances d’entraînement ne se font plus en dessous de 18 joueurs et « tous sont bons » et Blainville enchaine les bons résultats, avec notamment un troisième titre consécutif en 2019.

 

Son dernier en PLSQ ? Peut-être. Sans doute même. Car l’objectif d’intégrer le monde pro – qui lui a tant échappé jusqu’à maintenant – est plus que jamais sur sa feuille de route.

« J’ai juste besoin de rentrer dans le circuit, car, je me connais, à chaque fois que je suis rentré dans une équipe, j’ai réussi à gagner ma place et faire valoir mes qualités », assure-t-il. Passer du bitume de Chomedey aux qualifications à la Coupe du monde laisse légitimement la place à bien des rêves et des ambitions.

 

EMMANUEL MACAGNO, LE JUSTE

Il est peu de dire que Hoshang Noor-Ali respecte son entraîneur à Blainville. « Depuis qu’il est arrivé, dit-il, il a amené beaucoup de stabilité. C’est quelqu’un de droit dans ses choix, direct, franc. Il n’est pas possible de tricher avec lui et il ne va pas te faire jouer en fonction de ton CV.  Il s’en fout. Si tu t’entraînes mal, tu iras sur le banc et c’est fini. Ça évite les tensions dans le groupe, car c’est juste. »

L’INCROYABLE HISTOIRE DE SA SÉLECTION

 

« Nous, les Afghans, avons nos propres tournois à travers le monde. Il y a des équipes qui viennent de partout dans le monde. La communauté s’organise des tournois internationaux et chaque équipe se finance. L’équipe gagnante remporte une somme, mais toutes les équipes payent l’inscription, payent le déplacement, etc. Dans certaines équipes, il y a des joueurs de l’équipe nationale. Il y a 4 ou 5 ans, à Dubaï, avec l’équipe du Canada, j’ai joué contre une équipe située à New York, Brishna, qui dispose de plusieurs joueurs de l’équipe nationale. Contre eux, j’ai fait un bon match et les gars m’ont vu. Certains sont venus me voir, dont Yussef Mashriqi, qui a déjà été capitaine de l’équipe nationale. Ils m’ont pris avec eux à Brishna, donc j’ai été amené à fréquenter les joueurs de l’équipe nationale, et j’ai commencé à y croire. On a commencé à parler de moi au coach. Quand on a joué dans le championnat canadien contre Ottawa avec Blainville, on a pu avoir de la visibilité. Je savais que le coach allait regarder d’une manière ou d’une autre. J’ai dû être patient parce que ça fait 3-4 ans que je connais des gars de l’équipe nationale. Yussef Mashriqi m’a beaucoup aidé, il m’a toujours dit de ne pas lâcher que j’avais ma place, que le coach avait des nouvelles de moi. J’ai été patient, d’autant que le coach est sans cesse jugé sur ses choix et qu’il pouvait prendre un risque en me sélectionnant. Ça m’obligeait aussi à être toujours performant dès qu’il y avait un tournoi avec les Afghans. »